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— Non, je ne puis, fit-il.

— Je suis une vieille femme, s’écria la Commandante, j’ai enduré de rudes chagrins ; et voici que je me suis livrée à la merci d’un mendiant ramassé dans un tas de neige ! Je n’ai que ce que je mérite. Eh bien, va te tuer ! Va ! Du moins tu ne raconteras à personne mes aveux et ma folie. Adieu !

Gösta Berling se dirigea vers la porte, mais, la main sur le loquet, il retourna la tête. Les yeux de la Commandante étaient pleins d’une telle compassion que tout son cœur désemparé fondit sous leur regard. Il leva le bras, appuya son front au chambranle de la porte et se prit à pleurer.

L’étrange femme jeta sa pipe, depuis longtemps éteinte, dans les flammes du foyer et s’approcha vivement de lui avec un geste maternel.

— Allons, mon garçon, fit-elle, assieds-toi et m’écoute encore un instant. Si tu veux vivre, je prendrai chez moi la fille du pasteur de Brobu et je l’élèverai de telle sorte qu’elle remerciera Dieu plus tard que tu aies volé sa farine. Qu’en dis-tu ?…

… De ce jour-là Gösta Berling devint cavalier d’Ekebu. Deux fois il essaya de reprendre sa liberté et de se frayer un chemin dans la vie par son propre travail. La première fois, la Commandante lui donna une petite ferme sur ses terres. Il y tint quelque temps, puis il se fatigua de la solitude et de sa tâche quotidienne ; et il rentra au manoir. La seconde fois, il alla au château de Borg comme précepteur du jeune comte Henrik Dohna. Alors il s’éprit de la jeune Ebba Dohna, la sœur du comte ; mais, au moment même qu’il croyait l’avoir gagnée, elle mourut subitement. Et il se retrouva cavalier d’Ekebu, persuadé que, pour un prêtre destitué, toutes les voies de régénération sont à jamais fermées.