Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gôsta, penché en avant et l’esprit tendu, l’écoutait. La vieille Commandante inclinait lentement la tête devant la flamme du foyer.

— Penses-tu donc, continua-t-elle, que, si j’étais un être bien vivant, et que je te visse ainsi, misérable, couvant des idées de suicide, je n’aurais pas vite fait de te les enlever ? Je trouverais des larmes et des prières qui te bouleverseraient le cœur. Mais je suis morte : Dieu Je sait.

« N’as-tu jamais ouï parler de la belle Margareta Celsing ? Elle n’est pas née d’hier, mais, encore aujourd’hui, je puis pleurer sur elle, à en brûler mes yeux de vieille femme. Pourquoi Margareta Celsing est-elle morte et pourquoi Margareta Samzélius, Commandante d’Ekebu, semble-t-elle vivre ? Ah, cette Margareta d’autrefois, quelle âme fine et délicate et timide et innocente, Gösta Berling ! Elle était de celles dont les anges même arrosent de larmes les tombeaux. Le mal lui était inconnu ; personne ne lui en avait fait. Elle était bonne envers tous et parfaitement belle. Il vint alors un homme du nom d’Altringer : Dieu sait pour quoi il avait traversé les déserts d’Elfdalen où les parents de Margareta Celsing avaient leur forge ! Elle le vit et il l’aima. Mais il était pauvre, et les deux amoureux convinrent de s’attendre pendant cinq ans, — pendant cinq ans ! comme disent les chansons. Trois ans se passèrent : un autre épouseur se présenta, un vilain homme que les parents de Margareta crurent riche et que, par des coups et de dures paroles, ils forcèrent leur fille d’accepter pour mari. Ce jour-là Margareta Celsing mourut. Il n’y eut plus que la Commandante Samzélius, pas bonne, celle-là, pas timide, croyant toujours au mal, les yeux fermés obstinément au bien…

« Nous habitions alors Siœ, près du Leuven, le Commandant et moi. Et je connus de mauvais jours, car sa prétendue richesse n’existait pas. Mais Altringer revint. Il avait fait fortune. Quelle activité ! Quelle merveilleuse intelligence ! Il acheta le domaine d’Ekebu qui touchait à