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C’était une femme qui revenait apparemment de surveiller un transport de charbon dans la forêt. Les mains noires, une pipe de terre à la bouche, elle portait une courte pelisse en peau de mouton, sans doublure, et une jupe rayée dont la bure avait été tissée à la maison. Ses pieds étaient chaussés de grosses bottes ; le manche d’un couteau sortait de son corsage ; et des cheveux blancs droits et lisses se relevaient sur son beau vieux visage.

Avant même qu’elle eût ouvert la bouche, Gösta avait reconnu en elle la fameuse Commandante d’Ekebu, dont on lui avait si souvent parlé. Il se prit à trembler sous les regards de cette femme, la plus puissante du Vermland, maîtresse de sept forges, habituée à commander et à être obéie.

Elle, silencieuse, considérait cette misère humaine : des mains rouges et gonflées, un grand corps émacié, mais sur cette ruine une superbe tête qui rayonnait encore d’une farouche beauté.

— Tu es bien Gösta Berling, le prêtre insensé ?

Il demeura immobile.

— Je suis la Commandante d’Ekebu, moi.

Il leva vers elle un regard désespéré, et, dans sa nostalgie du silence éternel et des forêts du nord, il s’effrayait à l’idée d’une lutte à soutenir contre cette femme, dont la volonté et la vie exubérante l’accablaient déjà.

— Laissez-moi mourir, fit-il.

Mourir, et pourquoi ? La fille du pasteur de Brobu n’était-elle pas rentrée en possession de son sac, de sa farine et de son traîneau ? Elle, la Commandante, lui offrait un refuge, comme elle avait accoutumé de le faire aux malheureux sans foyer. Qu’il la suivît à Ekebu : il y trouverait, dans l’aile des Cavaliers, une vie de plaisirs et de réjouissances. Mais il lui répondit qu’il devait mourir.

Alors elle frappa du poing sur la table et s’écria rudement :