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l’auberge. Au bord même de la route, la neige s’était amoncelée : il s’y jeta désespérément, et, les yeux clos, attendit le sommeil dont on ne se réveille pas.

Nul ne sait combien de temps il y resta ; mais il vivait encore lorsque la fille du pasteur de Brobu accourut, une lanterne à la main, et le trouva. Elle l’avait attendu pendant des heures et s’était enfin risquée sur la route, en quête de son voleur. Elle se mit à le secouer et à crier de toutes ses forces afin de le réveiller. Qu’avait-il fait de sa farine, de son sac et de son traîneau ? Il fallait absolument qu’il revînt à la vie, assez au moins pour lui répondre. Le cher père la tuerait, si le traîneau était perdu. Et elle mordait les doigts du mendiant, lui égratignait le visage, hurlait comme une désespérée.

À ce moment des grelots tintèrent.

— Qui diable crie ainsi ? demanda une voix impérative.

— Je veux savoir ce que cet homme a fait de ma farine et de mon traîneau, sanglota l’enfant en continuant à frapper du poing la poitrine du mendiant.

— C’est un homme gelé que tu griffes de la sorte ? ôte-toi de là, chat sauvage !

Une grande et forte femme saisit la fillette à la nuque et la rejeta sur la route ; puis elle se pencha sur le malheureux, lui passa les bras autour du corps, le souleva et le porta jusqu’à son traîneau.

— Suis-moi à l’auberge, sauvagesse ! cria-t-elle à la fille du pasteur ; et nous verrons ce que tu sais de cette affaire.

Une heure plus tard, Gösta Berling était assis sur une chaise dans la meilleure pièce de l’auberge, en tête à tête avec celle qui l’avait sauvé de la mort.