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comme il soupirait après la paix des grandes forêts du nord !

Là-bas où, d’un sol uni, les arbres surgissent droits et pareils à des colonnes ; là-bas, où la neige repose en lourdes couches sur les branches immobiles, où les vents impuissants ne font qu’effleurer les aiguilles des cimes, là-bas il voulait s’enfoncer, et s’enfoncer toujours plus avant, jusqu’à tomber et mourir sous les hauts sapins. Il allait, l’âme fascinée, vers ce grand tombeau murmurant. Il y serait vaincu par toutes les forces de la destruction : la faim, le froid, la fatigue et l’eau-de-vie viendraient à bout de ce pauvre corps qui avait tant souffert.

Cependant il arriva à l’auberge, et, pour y attendre le soir, il entra dans la salle et s’assit près de la porte, accablé. L’hôtelière eut pitié de lui et lui apporta un verre d’eau-de-vie. Elle lui en apporta même un autre, sur ses instances ; mais elle refusa de lui en donner un troisième, et le mendiant fut saisi de désespoir. Oh, boire encore cette eau-de-vie forte et sucrée ! Sentir encore une fois son cœur danser dans sa poitrine et ses pensées flamber sous l’ivresse ! Douce liqueur du blé ! Son flot transparent roulait tous les chants, tous les parfums, toute la beauté, tous les feux de l’été. Encore une fois, avant de s’abîmer dans les ténèbres, il désirait âprement boire de la joie et du soleil. Alors le misérable offrit la farine, puis le sac et enfin le traîneau. Il en eut un bon sommeil jusqu’au soir, sur le banc du cabaret.

À son réveil, il comprit qu’une seule chose lui restait à faire : puisque son corps l’emportait sur son âme, puisqu’il avait bu sans vergogne ce que lui avait confié un enfant, et qu’il n’était plus qu’une loque de souillure et de honte, il rendrait à son âme, esclave de tant de bassesses, la liberté. Gösta Berling, prêtre interdit et défroqué, convaincu d’avoir vendu pour un peu d’eau-de-vie la farine d’une enfant affamée, se condamne à mort.

Il saisit son bonnet et se précipita en titubant hors de