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silence, encore un, puis encore un. Le rythme laborieux du martinet grondait dans la nuit de Noël.

— Écoutez, dit Gösta. Ekebu n’est pas mort. D’autres et de plus dignes que nous reprendront et poursuivront votre œuvre. Et l’on célébrera votre mémoire, à vous qui fûtes bonne pour le peuple et bonne pour les Cavaliers ingrats.

La voix du martinet de la forge semblait appuyer celle de Gösta. Et toutes les voix qui jadis avaient été douces aux oreilles de la Commandante résonnaient dans ce bruit puissant et familier. Ses traits se détendirent, et l’ombre du dernier sommeil s’étendit sur sa figure.

La fille du pasteur de Brobu entra et la prévint que les Messieurs de Högfors étaient là. Elle fît signe qu’elle ne voulait plus les voir.

— Que ton désir se réalise donc, Gösta, soupira-t-elle.

Et elle entra en agonie.

Quand les Cavaliers revinrent de la forge et qu’ils apprirent la mort de la Commandante, ils demandèrent tout d’abord si elle avait entendu le martinet. On leur répondit qu’elle l’avait entendu. Et ils connurent ensuite qu’elle avait eu l’intention de leur laisser Ekebu, mais que le testament n’avait point été fait. Ils ne se plaignirent jamais d’avoir perdu ces richesses qu’ils avaient si peu méritées.

La légende raconte qu’ils se dispersèrent. Gösta et sa femme accomplirent-ils leur rêve ? Il faut croire qu’ils furent heureux, puisque les vieilles gens se taisent. Lilliécrona retourna, le violon sous le bras, près de sa femme et de ses enfants. On raconte qu’un vieil homme déposa avant de mourir un traité de philosophie dans l’église de Bro : et c’était peut-être l’oncle Eberhard. Le petit Ruster s’en alla de domaine en domaine, de ferme en ferme, jouant de la flûte et copiant de la musique. Le silence s’est fait sur les autres. Les infirmités de la vieillesse les attendaient, et la solitude de la mort.