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automne, je l’ai remise en bon état. Lœvenborg m’a aidé : nous avons reblanchi le plafond et tapissé les murs. La petite pièce, que Lœvenborg appelle le cabinet de la comtesse, nous l’avons meublée avec des meubles achetés aux ventes seigneuriales et que nous avons trouvés dans les fermes des alentours. Il y a maintenant là des fauteuils et des commodes aux serrures brillantes. Dans la grande pièce, nous avons mis le métier de ma femme et mon établi. Je ne l’avais pas encore dit à Élisabeth.

— En vérité ! interrompit la Commandante. Et tu as cru que la jeune comtesse consentirait à demeurer avec toi dans une ferme de tenancier ?

Gösta s’étonna de sa voix railleuse : il poursuivit.

— Certes, je n’osais pas le croire : et cependant cette vie aurait sa douceur. Il faut faire au moins dix lieues pour rencontrer un médecin ; Élisabeth, qui a la main légère et le cœur tendre, n’aurait point manqué de blessures à panser et de fièvres à calmer. Et je m’étais dit que les affligés connaîtraient bientôt le chemin de notre petite ferme.

— Et toi, Gösta ?

— Moi, je pourrais vivre enfin ma propre vie. Si ma femme ne veut pas me suivre, elle est libre. Toutes les richesses du monde ne sauraient plus me tenter. Je serai et resterai un homme pauvre au milieu des pauvres paysans. N’ont-ils pas besoin de quelqu’un qui leur joue des polskas aux noces et aux fêtes de Noël et qui écrive des lettres à leurs fils absents ?

— Tu ne t’amuseras guère, Gösta Berling !

— Je ne m’ennuierais pas, si nous étions deux. Les riches et les heureux viendraient aussi nous visiter, et nos hôtes ne se froisseraient pas de nous voir faire la cuisine sous leurs yeux.

— Et cette gloire, Gösta, dont ton âme a toujours été éprise ? Cette ambition d’emplir de ton nom et de tes exploits l’imagination des hommes ?