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« J’essayai de lui répondre, mais elle n’entendit pas un mot de ma réponse : elle était devenue sourde. Après un long silence, elle reprit simplement :

« — Tu peux venir m’aider.

« Je remis à leur place les bassines dans l’ordre qu’il fallait. J’enfonçai la cuiller dans le lait, juste assez ; et elle en fut contente. Elle n’avait jamais confié ce soin à aucun domestique, et je n’avais pas oublié la manière dont elle voulait que la chose fût faite.

« — Dorénavant, me dit-elle, tu pourras te charger de cette besogne.

« Et je sus alors qu’elle m’avait pardonné.

« Mais de ce moment il sembla qu’elle eût perdu toutes ses forces. Elle restait assise dans son fauteuil et y dormait des journées entières. Et, quelques semaines avant la Noël, elle s’éteignit.

La Commandante s’arrêta, la respiration lui manquant ; mais elle fit un grand effort et continua :

— Il est vrai, Gösta, que j’aimais à t’avoir ici chez moi, à Ekebu. Tu as je ne sais quoi qui donne de l’agrément à ta compagnie. Si tu avais voulu devenir un honnête homme, je t’aurais chéri et traité comme mon fils. J’espérais toujours que tu trouverais une bonne femme. Je crus d’abord que ce serait Marianne Sinclair, car elle avait un faible pour toi. Puis, je pensai que ce serait Ebba Dohna, et je suis allée un jour à Borg lui dire que, si elle t’épousait, je te laisserais Ekebu en héritage. Si j’ai mal agi, je t’en demande pardon.

Gösta s’était jeté à genoux, le front au bord du lit. Il poussa un gémissement.

— Et dis-moi maintenant, continua la Commandante, dis-moi, Gösta, comment tu comptes vivre ? Comment vas-tu entretenir ta femme ?

Gösta lui répondit avec un pâle sourire :

— Autrefois, quand j’avais rêvé de me faire ouvrier ici, à Ekebu, vous m’aviez donné une petite ferme. Cet