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La fillette tendit l’oreille, puis elle éclata en sanglots et en hurlements.

— C’est père ! cria-t-elle. Il me tuera ! Il me tuera !

— Un bon conseil vaut de l’argent ; un conseil rapide, de l’or, fit le mendiant.

— Écoute, dit l’enfant, tu peux me sauver. Prends la corde du traîneau pour que mon père croie qu’il est à toi.

— Et qu’en ferai-je ? demanda le mendiant en passant la corde par dessus son épaule.

— Tire-le où tu voudras ; mais, dès qu’il fera sombre, amène-le au presbytère. Je te guetterai… Mais tu viendras, entends-tu bien, avec le traîneau et le sac.

— J’essaierai.

— Que Dieu te punisse, si tu ne viens pas ! cria la fillette en se sauvant.

Le mendiant tourna le traîneau et, le cœur pesant, le tira vers l’auberge.

Le malheureux était hanté d’un rêve. Il avait rêvé, dans cette neige où gelaient ses pieds à demi-nus, aux grandes forêts du nord de Leuven, aux grandes forêts finoises.

Ici, à Bro, près du détroit qui unit le Leuven supérieur au Leuven inférieur, dans ces contrées fameuses de la richesse et du bonheur, où le domaine seigneurial touche au domaine seigneurial et la forge à la forge, les routes lui étaient trop pénibles, les places trop étroites, les couches trop dures. Il tendait de toute son âme vers la paix des grandes forêts éternelles. Ici, dans chaque aire, les fléaux battaient comme si les gerbes ne devaient point finir. Sans cesse, des trains de bois et des tombereaux de charbon descendaient des forêts inépuisables. Des convois infinis de minerais passaient le long des routes dans de profondes ornières que cent convois leur avaient déjà creusées et polies. Ici, les traîneaux d’invités volaient d’une maison à l’autre ; et il lui semblait que la joie en tenait les rênes, que l’amour et la beauté y glissaient sur les neiges. Ah,