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On posa la lettre au chevet de la malade. Et celle-ci se sentit un peu mieux : sa fièvre baissa ; ses douleurs se calmèrent. Les vieilles gens ont dans l’idée que cette amélioration, aussi subite qu’éphémère, était due à d’occultes puissances qui voulaient qu’elle prît connaissance de cette lettre.

C’était un document écrit avec du sang sur du papier noir. Les Cavaliers l’auraient bien reconnu. Il avait été rédigé l’an passé, la veille de Noël, dans la forge d’Ekebu. Et la Commandante y lut que, puisqu’elle était une sorcière qui envoyait en enfer l’âme des pauvres Cavaliers, on la condamnait à perdre ses domaines. Et ce papier était signé du nom de Gösta Berling.

La Commandante replia lentement ce papier noir et le remit dans l’enveloppe. Elle songea que, si des hommes, qui avaient éprouvé toute sa bonté, avaient pu croire réellement en sa sorcellerie, le peuple ignorant finirait, lui aussi, par y ajouter foi, et que ce pays, qu’elle avait tant aimé, ne garderait peut-être d’elle que le souvenir d’une damnée magicienne. Un désir de vengeance se ralluma dans son cerveau fiévreux. Elle ordonna à la fille du pasteur de Brobu, qui la soignait avec la jeune comtesse Élisabeth, d’envoyer quérir l’intendant de Högfors et le bailli : elle désirait faire son testament.

Ses sourcils s’étaient froncés, et la souffrance convulsait son visage.

— Vous souffrez beaucoup, lui dit doucement Élisabeth.

— Oui, plus que jamais.

Un silence suivit, que bientôt la Commandante rompit d’une voix âpre :

— Et dire, s’écria-t-elle, que vous aussi, Élisabeth, vous avez été une femme adultère !

La jeune femme tressaillit.

— Ah, continua la moribonde, sinon en acte, du moins en désir et en pensée ! Et pourtant vous vivez heureuse,