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ruines d’Ekebu, ils se mettaient eux-mêmes à la besogne. Mais toi, tu ne connais que la fuite ! Ton malheur, c’est d’avoir été trop aimé. On t’a tout pardonné en faveur de tes plaisanteries, de tes rires, de tes chants, de tes jeux et aussi de tes grands airs de désespoir !

— Que veux-tu que je fasse ? murmura sourdement Gösta Berling.

— Écoute, Gösta : j’ai été moi aussi à l’église de Bro, et j’y ai rencontré deux femmes qui m’ont priée de te saluer de leur part. « Dis à Gösta, m’a recommandé Marianne Sinclair, qu’il est dur et triste d’avoir honte de celui qu’on a aimé. » — « Dis à Gösta, m’a recommandé Anna Stiernhœk, que j’ai trouvé le calme. Je gouverne moi-même mes domaines et je ne songe plus qu’au travail. À Berga aussi on a surmonté la première amertume de la douleur. Mais un chagrin nous reste à tous, celui que Gösta nous donne. Quand, quand donc sera-t-il enfin un homme ? » Je n’ajouterai plus qu’un mot. Naguère je désirais partir et regagner le foyer de mes parents. Cependant, si tu consens à faire ton devoir, je resterai près de toi. Mais ne t’imagine pas y trouver de quoi contenter ton immense vanité. Il n’y a point place à l’héroïsme ni aux belles attitudes dans le simple accomplissement de sa tâche. Ne t’attends pas à étonner le monde. Je souhaite même que ton nom ne sonne pas trop souvent sur les lèvres du peuple qui t’a si naïvement admiré. Pour moi, je marcherai à tes côtés, sans larmes et sans joie. J’ai été coupable aussi, et l’image des malheurs que nous avons causés doit veiller à la porte de notre maison. Réfléchis et viens, si tu en as le courage.

Elle n’attendit pas sa réponse. Elle fit seulement un signe à sa servante et partit. Mais, dès qu’elle se fut éloignée de la cabane, elle se prit à pleurer et pleura jusqu’aux premières maisons d’Ekebu.

Dans la petite ferme de la forêt, les gens restèrent silencieux.