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une publication où il promettait que le travail serait repris à Ekebu, sûr que sa femme et les Cavaliers rempliraient cette promesse. Et, cela fait, il était rentré dans la forêt afin qu’on perdît ses traces.

— Oh ! répondit la jeune femme qui l’avait écouté, comme je te reconnais bien là ! Des gestes et des façons de héros ! Toujours prêt à plonger ses mains dans le feu, Gösta, et prêt à s’y jeter lui-même ! Que cela m’a paru grand et beau, jadis ! Mais combien j’estime maintenant la simplicité et la réflexion ! Si tu avais pensé au pauvre peuple de Lœpsiœ, si tu t’étais dit : « Je veux consacrer toutes mes forces à soulager ces misères dont nous sommes en partie responsables », au lieu de t’en remettre de ce soin sur ta femme et sur de vieux hommes impuissants, je t’aurais admiré ! Mais tu es le plus lâche des Cavaliers et le plus stérile dans tes repentirs. Sais-tu ce qui est arrivé hier, au manoir d’Ekebu ? Ils étaient tous là, tes onze camarades, quand Anna Lisa, que voici, est entrée dans leur chambre. Elle avait été chercher l’argent de son père et n’avait rien trouvé ni dans les commodes ni dans les armoires du presbytère de Brobu. Cependant elle en rapportait quelque chose : elle en rapportait un peu de ce monceau d’opprobre qui s’était entassé sous les fenêtres du vieux pasteur. « Mon père n’a pas été le seul coupable, leur a-t-elle dit. Il est juste, messieurs les Cavaliers, que vous en ayez votre part. » Et elle a fait le tour de la pièce, et devant chacun d’eux elle a déposé quelques rameaux de bois mort. Ils juraient, mais ils étaient tous profondément humiliés. « C’est bien, ma fille, vous pouvez vous retirer », lui a répondu Bérencreutz avec hauteur. Mais à peine avait-elle tourné le dos, que d’un coup de poing, il a fait sauter tous les verres de la table. « L’eau-de-vie nous coûte cher ici ! s’est-il écrié. Je ne m’attirerai pas deux affronts pareils ! » Enfin ils ont eu honte ; ils ont compris leur déshonneur. Et le jour même ils appelaient les ouvriers, et, dans leur hâte de réparer les