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traits tirés, les yeux hagards. Pendant deux jours il avait erré dans la forêt et il s’était couché sur la terre. Et les Bohémiens avaient dû l’entraîner malgré lui. Il se laissa tomber devant l’âtre.

Quand elle le revit dans cet état, sa femme s’irrita et le regarda avec mépris.

— C’est ainsi que je te retrouve ! s’écria-t-elle.

— Je n’aurais jamais osé reparaître sous tes yeux, répondit-il.

— Ne suis-je pas ta femme ? N’est-ce pas mon droit de partager tes chagrins ? Voilà deux jours que je t’attends, dans une mortelle inquiétude.

— J’ai été la cause du malheur de Lennart. Comment aurais-je osé me présenter devant toi ?

— Tu n’as jamais reculé devant rien, Gösta !

— Le seul service que je pouvais te rendre, c’était de te débarrasser de moi.

Élisabeth fronça les sourcils.

— Et tu voulais faire de moi la femme d’un suicidé ?

Il tressaillit douloureusement.

— Élisabeth, dit-il, écartons-nous dans la forêt, et je vous parlerai.

— Et pourquoi tous ces gens-là ne nous écouteraient-ils pas ? s’écria-t-elle d’une voix âpre. Sommes-nous donc meilleurs qu’eux ? Qui, parmi ces hommes qu’on méprise et qu’on déteste, a causé plus de dommages et de mal que toi ? Qu’ils entendent donc que le péché et les douleurs sont aussi les compagnons des maîtres d’Ekebu et de cet illustre Gösta Berling ! Crois-tu que ta femme se regarde comme au-dessus d’eux ? Et le fais-tu, toi-même ?

Gösta Berling se redressa péniblement sur le coude. Il s’était réfugié dans la forêt, dit-il, ne pouvant plus supporter le regard des hommes. Il n’avait pas songé à se tuer ; mais il comptait quitter le pays. Le dimanche matin cependant il était descendu à l’église de Bro et y avait écrit