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une gaîté farouche y éclatait. Ils apportaient de l’eau-de-vie, des jeux de cartes, des histoires sans fin de vols, de maquignonnages et de rixes sanglantes.

C’était un vendredi que la foire avait commencé à Brobu et que le capitaine Lennart avait été tué. Le dimanche suivant les Bohémiens réunis chez Jan Hœk lui tendirent plus souvent que d’habitude la gourde d’eau-de-vie. Ils éprouvaient pour le vieillard une sorte de vague pitié. Ils parlaient de la vie des prisons, de la nourriture des prisons et de toutes les choses sinistres dont ils avaient l’expérience.

Le vieux soldat, assis sur un billot au coin du feu, se taisait. Ses grands yeux ternes erraient sur la bande sauvage. Le crépuscule venait, et les flammes de l’âtre n’éclairaient que des haillons et de la misère noire.

La porte s’ouvrit doucement et deux femmes entrèrent : la jeune comtesse Élisabeth, comme on continuait de la nommer, et la fille du pasteur de Brobu. Élisabeth apparut au milieu de ce cercle comme une vision timide et blonde. Elle raconta que Gösta Berling avait disparu ; qu’on ne l’avait pas revu à Ekebu depuis vendredi ; qu’elle et sa servante l’avaient en vain cherché tout l’après-midi à travers la forêt. Comme elle rencontrait dans cette cabane des hommes qui avaient beaucoup marché et qui devaient connaître tous les chemins, elle leur demandait s’ils ne voudraient pas l’aider. Les hommes se levèrent et partirent à la recherche de Gösta.

Seul, le vieux Jan Hœk demeura immobile, le regard terne et vague. La jeune femme désirait lui adresser quelque parole consolante, mais elle ne trouva rien à lui dire. Elle aperçut un enfant malade étendu sur une gerbe de paille et une femme dont la main était blessée. Elle s’approcha de l’enfant, le caressa, puis se mit à panser la main de la mère. Et les autres femmes lui montrèrent alors tous leurs petits enfants.

Au bout d’une heure, les hommes revinrent. Ils ramenaient Gösta Berling, les vêtements déchirés et salis, les