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CHAPITRE XXVI
DANS LA FORÊT

Au fond de la forêt se cachait une petite ferme. C’est là qu’habitait le père de Mans, le vieux soldat Jan Hœk. Il ne faisait de mal à personne, mais il croyait au mal et n’était point aimé. Il se sentait lui-même comme un étranger haï. Les bêtes de la forêt lui étaient hostiles. La montagne qui lui cachait le soleil et le marais qui lui envoyait des brouillards étaient devenus ses ennemis. La forêt est une demeure sinistre pour quiconque porte en soi de mauvaises pensées. On n’y voit alors que lutte et meurtre entre les animaux et les plantes comme entre les hommes. Les fils de Jan Hœk furent tous forts, mais sauvages, endurcis et braves, mais toujours en guerre avec le monde. Sa femme qui était morte avait connu les secrets des marécages ; elle avait étudié les êtres invisibles et savaient quelles offrandes ils préféraient. On l’avait redoutée à l’égal d’une sorcière.

Au temps des foires, sa cabane se remplissait d’hôtes. Les Bohémiens, cheveux noirs et faces sombres, venaient y camper. Leurs petits chevaux aux longs poils grimpaient les raidillons du bois, traînant dans les charrettes des outils d’étameurs, des enfants et des paquets de guenilles. Des femmes, vite déformées et vieillies, les traits bouffis par la boisson et le tabac, des hommes aux corps nerveux suivaient ces charrettes.

Quand les Bohémiens arrivaient à la cabane de Jan Hœk,