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Devant lui une petite fille tirait un traîneau, chargé d’un sac de farine. Il la rejoignit.

— Quel petit cheval pour une si lourde charge ! dit-il.

L’enfant se retourna et le regarda. C’était une toute petite, d’une douzaine d’années, aux yeux perçants et fureteurs, aux lèvres serrées.

— Plût à Dieu que le cheval fût encore plus petit, mais que la charge fût plus lourde et durât plus longtemps ! répondit-elle.

— C’est donc ton fourrage que tu traînes ?

— Dieu sait que oui ! Toute petite que je sois, il faut que je me nourrisse moi-même.

Le mendiant saisit un des montants du traîneau et le poussa.

— Ne t’attends pas à recevoir quelque chose pour ta peine ! lui cria la fillette.

Il se mit à rire.

— Tu dois être la fille du pasteur de Brobu, toi !

— Oui. Il y en a qui ont des pères plus pauvres, mais personne n’en a de plus mauvais. C’est la vraie vérité. N’empêche que c’est honteux pour sa propre enfant d’être obligée de le dire.

— Ton père est avare et méchant, paraît-il.

— Avare, oui, et méchant, oui ; mais, si elle en a le temps, sa fille deviendra pire à ce qu’on prétend.

— Je crains qu’on ait raison, sais-tu ? Mais où as-tu pris ce sac de farine ?

— Pourquoi ne te le dirai-je pas ? J’ai volé du blé, ce matin, dans la grange de mon père et j’ai été au moulin.

— Mais ne te verra-t-il pas, lorsque tu rentreras avec ton traîneau ?

— Tu as quitté l’école trop tôt, toi ! Mon père est allé loin d’ici visiter un malade.

— Quelqu’un vient derrière nous : j’entends crier la neige sous un traîneau. Si c’était lui !