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— Aussi chemin ne m’a-t-il jamais paru plus dur que celui de Helgesäter, aujourd’hui.

Alors la capitaine éleva la voix :

— S’il y a ici des Cavaliers, je les prie de sortir. Il m’est trop pénible de les voir au lit de mort de mon mari.

Le colonel sortit, suivi des autres Cavaliers. Le peuple s’écarta au passage de Gösta Berling et de ce petit groupe d’hommes humiliés.

Quand ils furent partis, la capitaine se tourna vers les assistants :

— Qui parmi vous, dit-elle, peut me raconter ce qu’a fait mon mari depuis que, dans l’épouvante et la dureté de mon cœur, je lui ai fermé ma porte ?

Alors les personnes présentes commencèrent à porter témoignage en faveur de l’agonisant. Les unes avaient été guéries par lui ; les autres, consolées. Il a réveillé dans tous les cœurs l’espérance et la foi. Des hommes qui n’ont jamais lu d’autre livre que la Bible parlent avec des phrases de patriarches et des images de Job.

La capitaine, assise au chevet du mourant, écoute ces voix. Le crépuscule descend, et le soir ; et, de la foule qui s’entasse dans la cour, se détache par moment un humble témoin qui monte et apporte, lui aussi, son témoignage. Et quand il revient :

— Que dit-elle, la sévère dame de Helgester ? lui demande-t-on.

— Elle rayonne comme une reine. Elle a étendu près du lit les vêtements qu’elle avait tissés pour son mari.

Tout à coup un grand silence se fait. Personne n’a rien dit, mais tous le savent : le capitaine Lennart meurt.

Il a rouvert les yeux ; il a vu sa femme, son foyer ; et il a souri, et, dans ce sourire, il a rendu l’âme.

Une voix entonne le psaume des morts, et toutes les voix se joignent à cette voix, et l’hymne funèbre s’élève dans le silence de la nuit.