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levèrent avec précaution et le placèrent sur la planche que le géant avait laissée tomber.

— Où le porterons-nous ? demandèrent-ils.

— Chez lui, répondit une voix dure.

Oui, portez-le chez lui pour que sa tête blessée qui a reposé sur les grabats de la prison et sur la paille des granges puisse enfin dormir sur un doux oreiller ! Il a erré comme un exilé, mais il aspirait toujours à ce foyer dont il croyait que Dieu lui avait fermé les portes.

Cette fois il ne s’achemina pas vers son logis avec une figure de bandit, escorté de compagnons ivres et trébuchants. Il était suivi d’un peuple en deuil, d’un peuple dont il avait habité les pauvres cabanes et dont il avait essayé d’alléger les souffrances.

Six hommes avaient soulevé la planche sur leurs épaules et s’étaient mis en route. Où ils passaient, la foule s’écartait, les hommes découvraient la tête et les femmes faisaient une profonde révérence comme à l’église, lorsqu’on prononce le nom du Seigneur. Dès qu’un porteur était fatigué, un autre s’approchait silencieusement et glissait son épaule sous la planche funèbre.

Les Cavaliers s’étaient joints au cortège qui grandissait toujours.

Le champ de foire était déserté ; les cadeaux pour les petits qui étaient restés à la maison ne furent jamais achetés. On ne marchanda plus les livres de cantiques, et le fichu de soie qui avait lui au yeux de la jeune fille fut rejeté sur le comptoir. Tous voulaient accompagner le capitaine Lennart.

Lorsque le cortège arriva à Helgesäter, les poings de Bérencreutz heurtèrent, comme deux mois plus tôt, la porte de la demeure muette.

Les domestiques étaient allés à la foire : la capitaine gardait la maison. Ce fut elle qui ouvrit, et elle demanda, comme elle l’avait déjà demandé une fois :