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enfoncé un mur à coups de pied. On l’avait vu retirer une barque de l’eau et la charger sur ses épaules.

Quand il souleva au-dessus des têtes cette énorme planche, toute la foule recula et s’enfuit épouvantée. Mais Mans la poursuivit. Maintenant qu’il avait une bonne arme dans les mains, il ne voyait plus autour de lui ni amis ni ennemis, — rien que des gens à battre. Ce fut une panique. Les femmes, qui conduisaient ou portaient des enfants, ne pouvaient fuir, arrêtées par les échoppes et les charrettes et les vaches et les bœufs, que les clameurs exaspéraient et jetaient au milieu de la route. Un petit groupe d’entre elles se trouva pris dans une impasse ; ce fut là que le géant se précipita. Il croyait y voir un de ses adversaires, un gaillard de la Vestrogothie. Et il leva son énorme massue.

Pâles d’angoisse et frissonnantes, les femmes se courbèrent sous l’horrible menace. Mais quand la planche s’abattit, un homme avait tendu les bras et rompu la force du coup. Cet homme, au lieu de s’accroupir, s’était redressé au-dessus du groupe. Et grâce à lui, les femmes et les enfants n’avaient pas été écrasés. Et cet homme gisait sans connaissance sur le sol. Mans ne tenta même pas de se sauver. Il avait rencontré le regard de sa victime au moment où la planche s’abattait ; et ce regard l’avait paralysé. Il n’offrit point de résistance ; il se laissa lier et emmener.

Mais, en un clin d’œil, le bruit courut à travers la foire que Mans venait de tuer le capitaine Lennart qui s’était sacrifié pour sauver des femmes et des enfants. Il se fit un grand silence sur la place où tout à l’heure la vie bouillonnait. Les ventes s’arrêtèrent ; les rixes cessèrent ; les amis réunis autour des paniers de provisions suspendirent leurs petites fêtes ; et les saltimbanques appelèrent vainement les spectateurs.

Une foule muette s’était pressée autour du capitaine qui n’avait pas repris connaissance. Son crâne semblait fracassé ; cependant il respirait encore. Deux hommes le sou-