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— Plus d’une vous eût épousé par amour. Mais il ne s’agit point d’amour. Si je vous aimais, je n’oserais peut-être pas vous parler comme je fais. Seulement j’ai un enfant, Gösta, j’ai un enfant qui n’a pas de père. Vous comprenez certainement ce que je désire obtenir de votre amitié. Ce sera humiliant pour vous, j’en conviens. Songez que je ne suis plus mariée et que je suis mère. Je ne vous demande pas cette preuve de dévouement, parce que vous vous croyez méprisé des autres, non — et qui sait pourtant si cela ne s’est pas un peu glissé dans ma pensée ? Je vous la demande parce que vous êtes bon, Gösta, et parce que je vous crois capable de sacrifice. Mais s’il vous répugne d’être nommé le père du fils d’un autre homme, dites-le, je vous comprendrai. Jamais je ne vous aurais ainsi sollicité, si mon enfant n’était pas très malade. Hélas ! c’est tout de même trop cruel qu’on ne puisse pas à son baptême inscrire le nom de son père…

En l’écoutant, Gösta éprouva la même sensation douloureuse que le jour de printemps où il avait été obligé de la conduire à terre et de la quitter. Il fallait donc qu’il l’aidât aujourd’hui à se perdre irrémédiablement.

— Je ferai tout ce que la comtesse voudra, dit-il très bas.

Le lendemain il se rendit chez le pasteur de Bro, qui, très ému, promit son concours.

— Liée à moi, elle sera malheureuse, dit Gösta.

— Gösta, répondit le pasteur, c’est ton devoir de te ranger maintenant et de vivre pour elle et pour l’enfant : penses-y bien.

Le dimanche 1er septembre les bans furent publiés entre Gösta Berling et Élisabeth Ducker.

La jeune mère fut aussitôt, et avec les plus grandes précautions, amenée au manoir d’Ekebu, où l’on baptisa l’enfant.

Elle s’était relevée depuis quelques jours quand, les bans ayant été publiés pour la troisième fois, le pasteur