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voir dormir sur de la soie et des dentelles, comme il sied à un fils de comte. Elle aurait voulu qu’il fût entouré d’allégresse et d’orgueil. N’était-elle pas coupable envers le père de l’enfant ? Avait-elle le droit de garder pour elle seule un petit être précieux comme celui-ci, dont la valeur était inestimable ? Certes, elle répugnait à retourner chez son mari. Mais ce qui l’avait poussée à accepter avec joie la pénitence n’était plus dans son cœur. Elle ne s’y sentait pas d’autre amour que l’amour de cet enfant qui venait de naître. Et le devoir de lui rendre son père ne lui semblait pas trop dur.

La jeune femme fit appeler le maître et la maîtresse de la maison et leur confia tout. Le mari partit aussitôt pour Borg, afin d’annoncer au comte Dohna que la comtesse vivait et qu’il était père. Le paysan revint très tard dans la soirée. Il n’avait pu voir le comte, car ce dernier avait quitté le pays ; mais il était allé parler au pasteur de Svartsiœ. Et la comtesse apprit que son mariage avait été annulé et qu’elle n’avait plus de mari. Le pasteur lui écrivit une lettre bonne et douce et lui offrit un refuge dans sa famille.

La comtesse Élisabeth fut saisie de colère au récit du paysan, — de colère et de douleur. La mère d’un bel enfant vigoureux aurait accueilli avec mépris de pareilles nouvelles, fière de posséder toute seule son enfant ; mais la mère du petit être maladif se sentit remplie d’une colère désespérée.

Elle ne ferma pas l’œil de la nuit : il fallait un père légal à l’enfant ; il le fallait.

Le lendemain, le paysan dut se mettre en route pour Ekebu. Il allait chercher Gösta Berling.

Gösta adressa beaucoup de questions à ce messager, mais il n’en apprit presque rien. Qui, la comtesse avait été dans sa maison tout l’été. Elle s’était bien portée. Un enfant était né. L’enfant était faible, mais la mère serait