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— Le pauvre petit qui n’a pas de père !

On ne se plaignait guère de ses cris : on était persuadé que c’est dans la nature des enfants de crier. Si seulement cette chétive créature avait eu un père, tout aurait semblé normal.

La mère les écoutait. Et la chose lui parut soudainement très importante : comment pourrait-il affronter la vie, le pauvre petit qui n’avait pas de père ? D’avance, elle avait arrêté ses plans pour l’avenir. Elle resterait la première année à la ferme ; puis elle louerait une chambre et gagnerait sa vie à tisser. Son mari, s’il le voulait, continuerait à la croire coupable. Elle s’était même dit que l’enfant deviendrait peut-être un meilleur homme, élevé loin de ce père orgueilleux et sot.

Mais depuis que l’enfant était né, elle ne savait plus que penser. Oserait-elle le priver de l’appui paternel ? Si le petit n’avait pas été aussi maladif et misérable, s’il avait pu manger et dormir comme d’autres enfants, si sa tête ne s’était pas toujours inclinée sur son épaule, si les convulsions ne l’avaient déjà mis à un doigt de la mort, la question n’aurait pas été d’une grande conséquence. Mais à ce petit, il fallait absolument un père. Et il fallait aussi se décider vite. L’enfant avait déjà trois jours, et les paysans du Vermland n’en laissent guère passer davantage avant de porter leurs enfants au baptême. Sous quel nom le petit serait-il inscrit dans les registres de l’église ? Le pasteur ne voudrait-il pas être renseigné sur la mère ? Ne causerait-elle pas un grave préjudice à son enfant en le présentant comme le fils d’un « père inconnu » ? Si cet enfant en grandissant était toujours maladif et débile, pourrait-elle assumer la responsabilité de l’avoir frustré des avantages de la naissance et de la fortune ?

Quand un petit être naît, on en éprouve d’ordinaire de la joie et du bonheur. Il sembla à Élisabeth que la vie devait être infiniment pénible pour une pauvre créature que tout le monde plaignait. Elle aurait aimé le