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gages que le logement et la nourriture. Elle savait travailler, tisser, filer, et même, si on le voulait, soigner les vaches. Quand elle ne pourrait plus travailler, elle paierait sa pension. On crut cette jeune femme qui était arrivée pieds nus, ses chaussures sous le bras, dans les vêtements d’une paysanne.

Le maître ne lui trouva pas un air bien robuste et ne compta guère sur son travail. Mais, comme il fallait que la malheureuse fût quelque part, il la garda. D’ailleurs, elle avait quelque chose qui faisait que tout le monde à la ferme se montra gentil à son égard. Et puis c’étaient de braves gens, mais des gens graves et taciturnes. La maîtresse s’attacha à l’étrangère quand elle lui découvrit une assez grande habileté dans le tissage du linge de table. Élisabeth fut assise à son métier du matin au soir, pendant l’été.

Personne n’avait idée qu’elle dût ménager ses efforts. Cette vie au milieu des paysans lui plut, bien qu’elle renonça à toutes les commodités dont elle avait l’habitude. On y prenait tout d’une manière simple et tranquille. Les pensées des gens ne se détachaient point de l’ouvrage, et les journées s’écoulaient si pareilles l’une à l’autre qu’on se trompait parfois et qu’on se croyait encore au jeudi quand le dimanche arrivait.

Un jour, à la fin d’août, il y eut grande presse à la ferme, et Élisabeth alla avec les autres femmes javeler l’avoine. Elle se surmena, et l’enfant, qu’elle n’attendait que pour la fin d’octobre, naquit.

La maîtresse était assise dans la grande pièce devant l’âtre, l’enfant sur les genoux, car, malgré la chaleur d’août, le petit grelottait de froid. La mère, couchée dans la petite pièce, à côté, écoutait ce qu’on disait. Les bonnes et les valets s’approchaient chacun à leur tour et regardaient l’enfant.

— Quel petit être ! répétaient-ils.

Et tous ajoutaient presque infailliblement :