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L’eau-de-vie me tient lieu en hiver de pelisse, de chambre chaude et de bon lit. Donne-moi le lit, la chambre et la pelisse : et je cesserai de boire.

— Eh, reprit Gösta, que voulez-vous qu’on leur donne ? Ils croient plus au diable qu’à Dieu et plus aux Trolls que dans la Providence. Que faire sans argent ?

— C’est la vérité même ! s’écrie le vieux. Ils ne savaient point labourer leurs champs. Ce que je leur disais du haut de la chaire, ils ne le comprenaient point. Mes conseils, ils ne les écoutaient pas. Et personne, personne pour m’encourager !

— Il y en a cependant, reprit Gösta, qui n’ont point désespéré et qui ont réalisé un peu de bien. Je voudrais les saluer comme des héros. Moi, je n’ai pu y tenir. Quand le pasteur voit trop de misère et se sent impuissant, il se met à boire.

— Il se met à boire, oui, à moins qu’il ne tâche d’acquérir cette richesse qui seule lui permettra de se rendre utile. Il économise, il épargne…

— Et, dit Gösta, il oublie peu à peu pourquoi il économise ; il s’opiniâtre et s’endurcit dans son épargne.

Le pasteur leva un regard timide sur le jeune homme et sembla lire dans ses yeux une obscure sympathie.

— C’est ce qui m’est arrivé, soupire-t-il.

— Mais Dieu n’a peut-être pas oublié sa première intention, murmura Gösta. Dieu réveillera peut-être en lui l’ambition de sa jeunesse. Il lui fera signe que le peuple a maintenant besoin de cet argent si âprement économisé.

— Peut-être, dit le pasteur. Mais s’il ne comprend pas ce signe ?… S’il ne lui obéit pas ?…

Et son regard s’abaisse sur les rameaux secs où ses mains inconscientes semblent jouer.

— Gösta, dit-il, je ne puis rien. Regarde ce bois, tout ce bois… Voilà ce qui me tue…

— Faites qu’on l’enlève, répond Gösta. Faites que des