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d’un air absent, manipulait et rangeait les rameaux secs. Gösta s’apitoya sur son sort.

— Que fait donc le pasteur ? dit-il en descendant de voiture.

— Oh, rien du tout…

— Mais pourquoi restez-vous assis au milieu de la poussière ?

— Oh, j’aime mieux être ici.

Alors le jeune homme prit place à ses côtés.

— Ce n’est pas commode d’être pasteur, fit-il.

— Ici, ça va encore, répondit le vieux ; mais c’est pire, là-haut.

Gösta comprend ce qu’il veut dire. Il les connaît, ces paroisses au nord du Vermland, où parfois on ne trouve pas même un presbytère, ces immenses paroisses des forêts, où les Finois gîtent sous des huttes basses, — ces pauvres contrées avec un ou deux habitants par lieue carrée où le pasteur est la seule personne instruite de la commune. Là le prêtre de Brobu avait passé plus de vingt années.

— Oui, c’est là qu’on nous envoie, quand nous sommes jeunes, dit Gösta. Il est impossible d’y supporter la vie. Et plus d’un fit naufrage.

— Ah, dit le pasteur, la solitude nous perd.

— On y vient avec enthousiasme, reprit Gösta d’un ton plus âpre. On parle, on exhorte, on croit qu’on réussira…

— Oui, oui, c’est cela…

— Et bientôt on s’aperçoit que les paroles n’ont qu’un faible pouvoir ; et la pauvreté nous paralyse.

— La pauvreté, répéta le pasteur, la pauvreté a gâté ma vie.

— On dit, continua Gösta, on dit au buveur : Cesse de boire…

— Et le buveur vous répond, interrompit le pasteur : Donne-moi quelque chose de meilleur que l’eau-de-vie.