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main sur le misérable avare. Les gens allégeaient un peu leur lourde peine en ajoutant un rameau à ce monceau d’opprobre. Et ils se contentaient d’indiquer le coupable à la justice de Dieu.

Le vieux prêtre observa bientôt que ce monceau grandissait de jour en jour. Il le fit enlever ; d’aucuns prétendent qu’il en chauffait le fourneau de sa cuisine. Mais, le lendemain, un autre tas s’élevait au même endroit ; et on ne l’avait pas ôté qu’un autre se dressait. Et les rameaux secs criaient :

— Honte, honte au pasteur de Brobu !

C’étaient les journées torrides de la canicule. Lourd de fumée, imprégné d’une odeur d’incendie, l’air pesait sur le pays comme une angoisse. Les cerveaux s’échauffaient ; les pensées s’affolaient. Le pasteur de Brobu devenait dans les imaginations une sorte de mauvais esprit qui fermait jalousement les sources de la pluie. Et l’avare ne pouvait plus se méprendre sur la haine qu’il inspirait et sur l’opinion de tous ces gens qui le rendaient responsable de leur misère. Il essaya de rire d’eux et de leurs rameaux : après une semaine, il ne riait plus. Ces monceaux de bois sec le vainquirent. Il y pensait nuit et jour. Il comptait ces témoignages accablants qui s’empilaient devant sa porte. Et la croyance du peuple commençait à s’insinuer en lui.

En quelques semaines il devint très vieux et très débile. Assis toute la journée au seuil de sa maison, il regardait, d’un œil fixe, grossir le tas de bois. Et les gens étaient impitoyables. Et le tas ne cessait de grossir.

Un jour Gösta Berling passa sur la route. Le pasteur était assis comme d’ordinaire, et, d’une main distraite,