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Tout ne fut point mauvais ; cependant le bien devint aussi funeste que le mal.

D’Ekebu cette agitation se propagea aux autres forges et aux autres domaines et descendit dans les forêts. Ainsi, quand le vent abat les arbres, le pin qui tombe entraîne dans sa chute un autre pin et celui-ci un troisième, et les arbustes mêmes s’écroulent sous le poids des colosses.

Jamais les cœurs ne furent plus sauvages, les cerveaux plus égarés, ni les danses plus folles aux carrefours des routes, ni les tonneaux de bière plus rapidement vidés, ni l’orge et le blé jetés avec plus de profusion dans la cuve d’eau-de-vie, ni les fêtes plus nombreuses ; et jamais l’éclair du couteau ne suivit de plus près le grondement de l’injure.

Et cette sorte de démence se communiqua à tout ce qui vit. Jamais les loups et les ours ne firent plus de ravages ; jamais renards et hiboux ne hurlèrent plus sinistrement ; jamais les moutons ne furent plus souvent perdus au bois ; jamais la maladie ne terrassa tant de précieux bétail.

Celui qui veut percevoir les vrais rapports entre les choses doit quitter les villes et habiter une cabane solitaire au fond des bois. Qu’il surveille, la nuit, les meules de charbon, ou qu’il passe un mois d’été sur les longs lacs, pendant que les radeaux font leur lent trajet vers le Vœnern : il comprendra les signes de la nature et connaîtra combien l’inquiétude humaine gagne les objets inanimés. Le peuple le sait. Aux époques de troubles, « la dame des bois » éteint les meules, l’ondine abîme les barques, le vieux Neck, ce paisible habitant des rivières, déchaîne des contagions, le lutin fait dépérir les vaches.

On n’avait point vu au Vermland des flots de printemps si violents et si furieux. Le moulin d’Ekebu ne fut pas leur seule proie. De petits ruisseaux qui jadis, lorsqu’avril les avait enflés, pouvaient tout au plus emporter quelque hutte vide, dévastèrent cette année-là des fermes entières. Nul n’avait souvenance que la foudre eut