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CHAPITRE XXIII
LA SÉCHERESSE

Si les choses inanimées peuvent aimer, si elles savent distinguer les amis des ennemis, je voudrais bien avoir leur sympathie. Je voudrais que la terre verte ne sentît point mes pas comme un fardeau ; je voudrais qu’elle me pardonnât les blessures que lui font, pour me nourrir, la bêche et la charrue, et qu’elle s’ouvrît volontiers à mon cadavre. Je voudrais que l’onde, dont mes rames brisent le brillant miroir me fût aussi indulgente et aussi patiente que la mère à son enfant qui grimpe sur ses genoux sans respecter la soie intacte de sa belle robe de fête. Car il m’a souvent paru que les choses pensent et souffrent avec les êtres vivants. Ce qui nous sépare d’elles n’est pas si épais que le supposent les hommes. N’avez-vous pas remarqué qu’aux époques où la terre est livrée aux inimitiés et aux haines, les champs deviennent avares et les vagues féroces ?

L’année que régnèrent les Cavaliers fut une étrange année. Toute la nature parut animée de leur esprit. Si l’on savait raconter ce qui, pendant cette année, se passa parmi les hommes aux rives du Leuven, le monde s’en étonnerait. Là où un vice se cachait, il se dévoila. Là où il y avait une fissure entre le mari et la femme, la fissure s’élargit en crevasse. Les volontés robustes et les fortes vertus se frayèrent leur chemin à travers les obstacles.