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écoutait trop de voix au fond de son âme et ne pouvait encore parler.

Alors la capitaine s’écria :

— Ah, comme ils sont heureux ceux qui regrettent leurs morts et versent des torrents de larmes sur les tombeaux !

Anna, les mains pressées contre son cœur, se rappelait la nuit d’hiver où elle avait juré sur son jeune amour de devenir la consolation et l’appui de cette pauvre famille. Son sacrifice n’était-il donc pas de ceux que Dieu accepte ? Mais, si elle allait jusqu’à l’extrême de l’abnégation, refuserait-il de bénir son œuvre ?

— Que faut-il donc pour que tu regrettes ton fils ? de manda-t-elle.

— Il faudrait que je n’en crusse plus le témoignage de mes propres yeux. Il faudrait… ah ! il faudrait que je fusse convaincue de ton amour !

La jeune fille se releva, les yeux brillants d’exaltation. Elle arracha son voile de mariée qu’elle étendit sur le tertre ; elle arracha sa couronne et la posa sur son voile.

— Regarde si je l’aimais ! s’écria-t-elle. Je lui offre ma couronne et mon voile. Je me marie à lui. Et jamais je n’appartiendrai à un autre.

La capitaine resta un instant muette ; puis tout son corps lut secoué de sanglots, et enfin ses larmes jaillirent, de vraies larmes, des larmes de douleur.

Et la mort frémit en voyant ces larmes : elle se laissa glisser au bas du mur où elle s’était accroupie et disparut entre les gerbes de blé dont les faisceaux s’alignaient dans les champs.