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d’œillets. Devant le corbillard recouvert de fleurs, des enfants semaient des feuilles et des pétales odorantes. Personne ne portait de vêtements de deuil ni de crêpes, ni de grands cols rabattus aux larges ourlets. La capitaine avait voulu que son fils, mort en joie, fût suivi d’un cortège nuptial.

Derrière le cercueil, s’avançait Anna Stiernhœk, la belle fiancée du mort, la couronne de mariée sur la tête, et, sous le long voile de noces, habillée d’une robe traînante en soie blanche et moirée. Immédiatement après Anna, la capitaine marchait au bras de son mari. Si elle avait eu une lourde robe de soie brochée, elle l’eût mise ; si elle avait eu des plumes et des bijoux, elle les aurait portés, afin d’honorer son fils. Mais elle ne possédait que cette unique robe en taffetas noir et ces dentelles jaunies qui avaient vu tant de fêtes. Elle s’en para donc, et sa volonté fut respectée de tous ceux qui formaient le convoi. Ils défilaient, couple par couple, les dames avec des boucles et des broches étincelantes, des colliers de perles laiteuses, des bracelets d’or et des dentelles et des rubans, et, sur leurs épaules, le châle en crêpe de Chine qu’elles avaient reçu comme cadeau de mariage ; les hommes, en gilet de velours ou de brocart, l’habit à col haut, et aux boutons dorés.

Mais bien qu’ils fussent en atours de fête, aucun œil ne resta sec, lorsque, aux sons des cloches, ils s’acheminèrent vers la fosse. Ils pleuraient non seulement sur le mort mais sur eux-mêmes. Voici le marié dans sa bière et voici l’épousée, et les voici, hommes et femmes, attifés et ornés, et voués pourtant à la tristesse et à la mort.

Seule, la capitaine ne pleurait pas.

Quand les prières furent dites et la fosse comblée, le cortège s’écoula, et elle resta seule à côté d’Anna Stiernhœk.

— Écoute, dit-elle à la jeune fille : j’ai fait à Dieu cette prière : « Mon Dieu, laissez venir la mort et qu’elle prenne mon fils et qu’elle l’emmène vers vos demeures éternelles.