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CHAPITRE XXI
LE CIMETIÈRE

C’est une belle soirée du mois d’août. Le Leuven repose calme comme un miroir : une fine vapeur voile les montagnes, et la fraîcheur en descend.

Bérencreutz, le colonel aux épaisses moustaches blanches, un jeu de cartes dans sa poche de derrière, s’achemine vers la rive du lac et s’installe dans une barque à fond plat. Il est accompagné de son vieux frère d’armes, Anders Fuchs, et aussi du petit Ruster, le flûtiste, qui jadis a servi en qualité de tambour dans les Chasseurs du Vermland.

Sur la rive opposée du lac se trouve le cimetière, — le cimetière mal entretenu de la commune de Svartshiœ avec ses croix de fer clairsemées et penchantes, — le cimetière couvert de grosses touffes comme un champ qui n’a point été labouré, rempli de careiche et de cette herbe rayée de blanc qu’on nomme « l’herbe humaine » et qu’on sème dans les cimetières, afin de rappeler aux gens que la vie d’une personne ne ressemble jamais à celle d’une autre, mais qu’elle est aussi changeante que cette herbe. Il n’y a point d’allées sablées ni d’arbres qui donnent de l’ombre, hormis un grand vieux tilleul sur la tombe oubliée d’un ancien vicaire. Un mur de pierres sèches, haut et sévère, entoure le pauvre champ. Oui, le cimetière est misérable et désolé, et pourtant ils sont heureux, ceux qu’on a inhumés dans sa terre bénite, avec des psaumes et des prières.