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nourricière avec ces grains de blé multipliés que le bateau de Sintram apporterait.

Le lendemain le rude Mans abordait au débarcadère des gens de Gurlita ; hommes et femmes accoururent.

Alors le valet dit, comme Sintram le lui avait ordonné :

— Le maître de forges vous envoie du blé et des pommes de terre, de quoi faire de l’eau-de-vie, car il a appris que vous en manquiez.

À ces mots, les gens, pris d’une sorte de folie, se ruèrent sur le bateau et s’arrachèrent les sacs. Le capitaine, qui voulait les distribuer également, leur cria de les laisser : nul ne l’écouta.

— Que le seigle se change en sable dans votre bouche et les pommes de terre en pierres ! s’écria-t-il, furieux et désespéré.

Il n’avait pas prononcé ces paroles qu’un miracle sembla s’accomplir. Deux femmes qui se disputaient un sac le déchirèrent, et du sable en ruissela. Des sacs de pommes de terre éventrés les cailloux sortirent.

Muette d’épouvante, la foule s’écarta, et le capitaine resta un moment stupéfait.

Seul, le rude Mans se mit à rire.

— Retourne vite chez toi, homme, lui dit le capitaine, avant que les pauvres gens aient compris que Sintram a voulu les tromper.

Ce fut en vain que le capitaine expliqua au peuple que Sintram l’avait indignement joué. On refusa de croire à autre chose qu’à un miracle. Tout le pays en parla. Et le capitaine Lennart en retira, malgré lui, une réputation merveilleuse. On l’appela partout « l’homme de Dieu ».