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même rentré chez lui et s’y fût montré avec son vrai visage, si les événements n’avaient pris à tâche de l’en détourner et ne l’avaient, en quelque sorte, investi d’un extraordinaire pouvoir sur les pauvres de la contrée.

La misère du pays était grande. Un jour, le capitaine Lennart vint parmi les malheureux paysans qui demeurent au pied du Gurlita. Ils avaient achevé leurs réserves de pommes de terre et n’avaient pas assez de blé pour ensemencer leurs arpents défrichés. Le capitaine prit alors une petite barque, se rendit au manoir le plus proche, chez Sintram, et le pria de leur donner des pommes de terre et du seigle.

Sintram lui fit un excellent accueil. Il le mena dans ses granges bien fournies et dans ses caves où s’amoncelaient encore les pommes de terre de l’an passé. Et le capitaine y remplit tous les sacs qu’il avait apportés. Mais Sintram lui objecta que sa barque était trop petite pour une telle charge. Le lendemain, lui dit-il, un de ses bateaux lui conduirait ces provisions, et son valet, le rude Mans, les lui livrerait.

Le capitaine Lennart s’en alla content. Il songeait à ces grains de blé qu’on sèmerait immédiatement dans la terre noire des brûlis. L’automne et l’hiver passeraient sur leurs jeunes pousses vertes ; mais elles résisteraient et des tiges dresseraient à l’air leurs épis pointus. Les plumets des pistils trembleraient au souffle des brises ; la poudre des étamines monterait en fumée légère jusqu’à la cime des arbres. Et de belles javelles tomberaient au tranchant des faucilles. Et le moulin ferait de la bonne farine