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— Amis, leur dit-il, j’ai souvent demandé à Dieu pourquoi il avait permis que tant de malheur me frappât. C’était pour me faire jouir d’un tel moment de félicité. Amis, ma femme m’attend. Que sont cinq ans de misère auprès de cette joie du retour !

Lorsqu’ils atteignirent la porte d’entrée, ils la heurtèrent à grands coups de poing.

La maison s’emplit de remue ménage. Les servantes s’éveillaient épouvantées et regardaient par les fenêtres. Elles s’habillèrent à la hâte, mais n’osèrent point ouvrir à cette bande d’hommes ivres et tumultueux.

Enfin, on entendit un bruit de verrou, et la capitaine apparut.

— Que voulez-vous ? demanda-t-elle.

— Nous t’amenons ton mari, dit Bérencreutz.

Et ils poussèrent en avant cet homme horriblement grimé qui, les jambes encore mal assurées, s’en alla trébucher contre elle. Derrière lui, la bande écarquillait des yeux que l’ivresse rendait farouches.

— Tu es parti d’ici comme si tu avais été un voleur, s’écria-t-elle, et tu en reviens comme une canaille !

Et elle le repoussa violemment.

— Crois-tu donc, reprit-elle, que je t’accepterai pour maître de ma maison et de mes enfants ?

Puis elle referma la porte avec éclat et tira le verrou.

Le capitaine Lennart se jeta sur cette porte fermée et l’ébranlait des pieds et des poings.

Et les Cavaliers riaient.

Quand il les entendit rire, il fonça sur leur groupe, aveuglé de douleur et de rage. Ils se sauvèrent et remontèrent précipitamment dans leurs voitures. En courant après eux, il buta contre une pierre et tomba. Il se remit sur ses jambes, mais il ne les poursuivit plus.