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la bienvenue, et ils le forcèrent de rentrer avec eux et de vider une coupe. Malheureusement, le capitaine, qui depuis cinq ans n’avait pas trempé ses lèvres dans l’alcool et qui n’avait rien mangé de la journée durant sa longue marche, eut la tête vite tournée. Les Cavaliers l’obligèrent de leur faire raison, avec tant de générosité que le pauvre capitaine, l’homme le plus sobre du monde, s’endormit sur un banc.

À le voir étendu et sommeillant, Gösta ne put repousser l’absurde tentation de lui peindre le visage. Il prit un morceau de charbon et un peu de jus d’airelles : il lui noircit le tour des yeux, lui dessina une cicatrice rouge à travers le nez, ramena ses cheveux sur son front en mèches touffues et lui ombra toute la figure.

Les Cavaliers s’en amusèrent, puis Gösta voulut le laver.

— Non, laisse-le donc ! dit Sintram, il rira bien quand il se réveillera.

On le laissa, et bientôt les Cavaliers l’oublièrent. La fête se prolongea toute la nuit, et l’aube commençait à poindre quand ils songèrent a regagner leur manoir. Mais qu’allait-on faire du capitaine endormi ?

— Nous allons le ramener chez lui, dit le méchant Sintram. Comme sa femme sera heureuse de le revoir !

Cette idée transporta les Cavaliers et mouilla leurs yeux d’une douce émotion. Oh oui, qu’elle serait heureuse, la sévère maîtresse de Helgesœler !

Ils secouèrent le capitaine Lennart, le hissèrent dans une des voitures que les valets somnolents avaient attelées. Et ils partirent vers le domaine de Helgesœter. Quelques-uns, à demi sommeillant, menaçaient de tomber à chaque soubresaut des véhicules, d’autres chantaient pour se tenir éveillés.

Lorsqu’ils arrivèrent devant la maison, ils se sentirent très solennels. Bérencreutz et le patron Julius donnaient le bras au capitaine que la vue de sa demeure commençait à dégriser.