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camarades, les empêchant de se reconnaître, les fit tendre leurs griffes et hérisser leur poil.

L’hôtelière entra, attirée par le vacarme. Un instant elle demeura immobile sur le seuil. Elle reconnaissait l’homme. La dernière fois qu’elle l’avait vu, c’était sur la charrette des criminels, des menottes aux poignets.

Quelle douloureuse histoire ! Il y avait cinq ans et demi, pendant la foire d’hiver, des malfaiteurs avaient volé les bijoux de la femme du gouverneur, à Karlstad : des bagues, des bracelets, des boucles d’oreille, d’autant plus précieux aux yeux de la noble dame qu’elle les avait hérités ou reçus en souvenir. On ne les retrouva jamais. Mais bientôt un bruit se répandit dans la contrée qui désignait le capitaine Lennart comme l’auteur de ces vols. L’hôtelière ne s’en était point expliqué l’origine. Personne ne savait qui l’avait propagé. C’était un brave homme, ce capitaine Lennart. Il vivait heureux avec sa femme que ses médiocres ressources ne lui avaient permis d’épouser que sur le tard. Son petit domaine et ses appointements suffisaient à leur vie. Quel mobile l’eût poussé a commettre cette mauvaise action ? Il avait répondu à l’accusation qu’en effet il était allé à la foire, mais qu’il en était revenu de bonne heure. Sur la route il avait trouvé une vieille boucle cabossée, l’avait ramassée et donnée à ses enfants en guise de jouet. Seulement il paraît que cette boucle d’or faisait partie des objets volés. Cela fut une preuve accablante contre lui. On prétendait aussi que Sintram, — qui, quelques années plus tard, fut accusé d’avoir vendu de la poudre aux Norwégiens pendant la guerre de 1814, — aurait eu peut-être dans le capitaine Lennart un témoin à charge, si le capitaine Lennart n’avait été sous les verrous.

L’hôtelière ne pouvait se rassasier de contempler cet homme. Il avait les cheveux gris et le dos courbé. On voyait que la vie lui avait été dure. Mais il semblait garder encore son humeur enjouée et son bon visage aimable. Malgré ses malheurs, il était resté ce même capitaine Len-