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on n’y eût point touché, n’eût été le comte Henrik. Je l’ai haï, comme, seuls, les enfants savent haïr. Dans le monde des grandes personnes, il n’y a pas place à la haine contre un être aussi misérable, aussi ridicule. Mais je le haïssais ! Mon âme n’avait-elle pas faim et soif pendant ces longs services divins ? Le pasteur avait beau parler dans sa chaire de pardon et de charité, ses paroles n’arrivaient jamais jusqu’à moi. Si les pauvres Saints avaient été là, nul doute que j’eusse entendu et compris ce qu’ils m’auraient prêché.

Le mariage du comte Henrik avait été annulé, et cette nouvelle avait provoqué l’indignation. Pour regagner la grâce de Dieu et le respect des gens, le comte fit réparer à ses frais la pauvre église de Svartsiœ. Il la fit passer à la chaux. Et lui-même et ses valets portèrent les Saints dans une petite barque.

C’était un doux soir d’été : le bateau glissait sur la surface du Leuven. L’homme qui coupait les flots de ses rames lentes coulait des regards craintifs sur ces étranges passagers ; mais le comte Dohna n’avait point peur. Il se sentait le champion de la pure doctrine évangélique. Et aucun miracle ne s’accomplit : muets et découragés les vieux Saints déchus, un à un, descendirent dans le néant. Les sciences occultes de la Reine de Saba avaient été impuissantes. Olaf, vieux Viking, tu avais perdu ton divin pouvoir !

Et, le dimanche suivant, l’église luisait toute blanche. Nulle image n’y menaçait plus le recueillement intérieur. Les yeux seuls de l’âme contempleraient la béatitude céleste, et les prières des hommes monteraient, comme elles le pourraient, sur leurs propres ailes et sans s’accrocher à l’ourlet du vêtement d’un Saint. Mais la terre est verte, le ciel où nous aspirons est bleu. Le monde resplendit de couleurs. Pourquoi faut-il que l’église soit blanche ? Blanche comme l’hiver, nue comme la pauvreté.