Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

habillé les Bienheureux selon la mode des hommes, en chasubles rouges et en mitres d’évêque, avec des manteaux de prêtre, des cols plissés et empesés. Leurs corps étaient petits et diaphanes, leurs têtes grandes ; et il leur avait mis dans les mains des livres de cantiques et des mouchoirs. Des sentences latines s’envolaient de leur bouche. Ceux qu’il tenait pour les personnages les plus notables, il les avait placés sur les crêtes des nuages et assis sur de solides chaises de bois, afin qu’ils pussent entrer commodément dans l’éternité.

Or, le comte Dohna fit blanchir à la chaux toute l’église, y compris le plafond. Et, par la même occasion, les Saints d’argile furent jetés dans le lac.

Ah, ces Saints d’argile ! Je souhaiterais que la misère humaine me touchât toujours autant que le fit la perte de ces Saints : je voudrais que la cruauté des hommes me remplît toujours de la même amertume que la cruauté du comte Dohna envers ces pauvres saints d’argile.

Songez qu’il y avait un Saint Olaf, le heaume couronné et une hache à la main. Sur la chaire, une Judith, en camisole rouge et en jupe bleue, une épée dans sa main gauche, tenait dans sa droite un sablier — au lieu de la tête du guerrier assyrien. Et la reine de Saba ! Figurez-vous une mystérieuse reine, en camisole bleue et en jupe rouge, les mains chargées de livres cabalistiques, et les pieds pattés comme les portait la reine Pédauque. Un Saint Georges gisait sur un banc du chœur depuis que son cheval et le dragon s’étaient effrités. Le bâton de Saint Christoffer verdissait, et Saint Erik, couronné, était revêtu d’un manteau fleuri d’or qui lui tombait jusqu’aux pieds.

Dans cette église de Svartsiœ que de dimanches j’ai passés, la rancune au cœur contre celui qui avait enlevé ces images ! Il ne m’eût guère importé que leur dorure se fût pâlie et leurs couleurs ternies ! Je les aurais entourés de l’auréole des légendes. Il paraît que la paroisse s’était un peu lassée de les repeindre et de les redorer. Mais