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CHAPITRE XVIII
LE PATRON JULIUS

Le patron Julius descendait son coffre peint en rouge et s’apprêtait à quitter l’aile des Cavaliers. Il remplit d’eau-de-vie à la bigarade parfumée un petit baril vert, depuis longtemps son compagnon de voyage, et, dans la grande boîte à provisions sculptée, il enferma du pain, du beurre, du vieux fromage, délicieusement veiné de brun et de vert, des tranches de jambon gras et des crêpes qui nageaient dans de la confiture aux framboises.

Ces préparatifs achevés, le patron Julius fit le tour du domaine, et, les larmes aux yeux, dit adieu à toute la magnificence d’Ekebu. Il caressa une dernière fois les boules de quilles usées et luisantes et les joues rondes des gamins qui fourmillaient autour des usines. Il visita les tonnelles du jardin et les grottes du parc. Il entra dans les écuries et dans les étables, flatta le museau des chevaux, secoua amicalement le taureau hargneux par les cornes et laissa les veaux lécher ses mains.

Enfin il monta à la maison d’habitation où l’attendait le déjeuner suprême. Oh, la triste chose que la vie ! Il y eut de l’amertume dans le vin, du poison dans les plats. Le brouillard des larmes voilait les regards. Les toasts d’adieu furent entrecoupés de sanglots. Dorénavant sa vie ne serait qu’une longue nostalgie. Jamais le sourire ne détendrait plus ses lèvres ; les chansons s’évanouiraient de sa mémoire. Il pâlirait ; il se fanerait comme une rose mordue de la gelée, comme un lis sans eau. Des nuages