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nuit claire. Sur le Leuven les trains de bois se pressaient. Leurs petites voiles blanches hissées flottaient comme des drapeaux, et il n’y avait pas une vergue qui ne fût couronnée de verdure. Sur tous les sentiers et les chemins qui menaient à Bro, les femmes se hâtaient et avaient mis pour la première fois leurs belles robes d’été. Et l’on se réjouissait du grand repos dominical, de la tiédeur, des promesses de moisson, et des fraises qui commençaient à rougir aux pentes des fossés. L’air calme, le ciel sans nuage et le chant des alouettes faisaient dire : « On voit bien que le jour appartient à Notre-Seigneur ».

À ce moment Sintram arriva dans son traîneau. Il jurait et fouettait son cheval éreinté et tout en sueur. Le grincement sinistre du gravier, le tintement aigu des grelots empêchaient d’entendre l’appel des cloches. Et la figure du méchant se rengorgeait sous son bonnet de fourrure.

Les gens de la messe se mirent à frissonner. Ceux qui, debout à l’ombre de l’église ou assis sur le mur de l’enclos, attendaient le commencement du service divin, le virent avec un profond étonnement descendre du traîneau et traverser le cimetière. Tout à l’heure, dans la splendeur des choses, ils se félicitaient de fouler les sentiers de la vie, mais, lorsqu’ils aperçurent le méchant Sintram, de funestes pressentiments les assaillirent.

Il s’avançait et saluait un ami çà et là. Qui n’était point honoré de son salut s’en flattait grandement, car Sintram ne saluait que ceux qui servaient sa cause. Son bonnet rasa presque la terre devant le pasteur de Brobu. Il le leva pour les Cavaliers, mais il n’eut pas même un petit geste de la main pour le curé de Bro et le juge de Munkerud.

Il entra dans l’église et jeta ses gants contre le pupitre de sa stalle si violemment que les griffes de loup, qui en ornaient le bout des doigts, retentirent de la porte à l’autel. Quelques femmes déjà installées sur leur banc