Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le plancher fut remonté, Gösta s’inclina profondément et pleura, car il lui parut que la vie lui avait donné son plus beau moment ; et ce moment était passé.

Après l’office, le Conseil de l’Église se réunit, et l’Évêque demanda quelles plaintes on avait à formuler contre le pasteur. Gösta ne sentait plus ni cette colère ni cette défiance qui l’avaient agité avant le sermon. Il éprouvait maintenant un grand sentiment de honte et baissa la tête. Hélas, toutes ces misérables histoires allaient donc défiler !

Mais il se fit un silence autour de la table de la mairie rurale. Le pasteur leva les yeux d’abord sur le sacristain : le sacristain se tut ; puis sur les marguilliers ; puis sur les paysans les plus notables et sur les maîtres de forge : personne ne broncha. Tous, les lèvres serrées, regardaient, gênés, le bord de la table.

« Ils attendent que quelqu’un veuille bien commencer », pensa le jeune pasteur.

Un des marguilliers toussa pour s’éclaircir la voix :

— M’est avis, dit-il, que nous avons un bon prêtre.

— Monseigneur a entendu lui-même comment il prêche, ajouta le sacristain.

L’Évêque toucha quelques mots des interruptions de service dont l’église avait souffert.

— Le pasteur a bien le droit d’être malade comme les autres, répliquèrent les paysans.

L’Évêque fit allusion à leurs anciens griefs et au mécontentement qu’eux-mêmes ils avaient exprimé.

Mais tous le défendirent d’un commun accord. « Il était si jeune, leur pasteur, qu’on ne pouvait… rien dire… S’il voulait toujours prêcher comme il l’avait fait aujourd’hui, non, en vérité, ils ne l’échangeraient pas même contre l’Évêque. »

Plus d’accusateurs, partant pas de juges. Le cœur de Gösta Berling se gonfla d’aise, et le sang coula légèrement dans ses veines. Il n’avait plus d’ennemis : il les avait