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mées. On m’a souvent décrit la chambre où elle vivait réfugiée pendant ce temps d’horreur. De lourdes tentures se déroulaient devant les croisées et les portes : des tapis épais étouffaient le bruit des pas sur les parquets. Et les gens ne s’y glissaient que par la porte doucement entrebâillée. La comtesse craignait que les oiseaux ne pénétrassent avec eux. Elle passait ses journées assise dans un fauteuil, et, par moment, elle sursautait et poussait des cris aigus. Ses cheveux grisonnèrent ; son visage se rida ; elle devint très vite une pauvre vieille et ne se roidit jamais contre le terrible enchantement.

Je ne parlerai plus d’elle. Bien des histoires qui courent sur cette femme m’ont jadis réjoui le cœur, car, dans sa jeunesse, elle était joyeuse, prodigue et pas méchante. Mais elle ne comprit pas que l’âme ne saurait vivre de frivolités et de plaisirs. L’âme est toujours affamée, et, lorsque ces vains aliments viennent à lui manquer, elle déchire alors les autres âmes et finit par se déchirer elle-même.

CHAPITRE XVII
LA SAINT-JEAN

C’est le temps le plus splendide de l’année, la Saint-Jean, et c’est aussi l’époque où Sintram, le méchant maître de Fors, sent le plus de dépit et le plus de rancune fermenter dans son âme. Il détestait cette invasion triomphale de la lumière. Le tapis diapré qui recouvre la terre, l’habit frais et neuf dont resplendissent les arbres irritaient ses yeux. La route même, pour grise et poudreuse qu’elle fût, avait sa bordure de fleurs ; et Sintram