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— Donne-moi le beau jambon brun ! répète-t-elle. Donne-le moi, ou ça ira mal pour toi.

— J’aimerais mieux le donner aux pies qui se promènent là-bas !

Alors, la vieille est secouée d’une tempête de rage. Elle brandit violemment le bâton des runes vers le ciel. Ses lèvres poussent des cris et des paroles mystérieuses. Ses cheveux se dressent, ses yeux luisent.

— Que les pies te dévorent toi-même ! hurle-t-elle.

Et elle part, vomissant des malédictions et agitant le bâton au-dessus de sa tête.

La comtesse Martha demeure un instant immobile, parcourue d’un frisson. Elle essaie de rire, mais le rire expire à ses lèvres. Elle ne peut en croire ses yeux : les voici qui viennent, les pies !

Du parc et du jardin, des volées de pies cinglent vers elle, les griffes et les becs tendus comme pour lui crever les yeux. Et leur rire moqueur résonne à ses oreilles. L’aveuglant soleil qui darde sur leurs ailes en fait miroiter les couleurs métalliques. Effarée, affolée, la comtesse s’élance dans le vestibule et referme la porte derrière elle. Haletant d’angoisse, elle s’appuie au mur et entend toujours leur bruissement d’ailes et leurs rires. Cette porte qu’elle a refermée, elle l’a pour jamais fermée sur la douceur de l’été et sur la joie de l’existence. De ce jour, elle ne vivra plus qu’au fond d’une chambre close, derrière des stores baissés, dans une épouvante voisine de la folie.

Folle peut également paraître cette histoire, et pourtant elle doit être vraie. Que de gens la reconnaîtront et attesteront que je la raconte telle qu’on nous l’a transmise !

Les oiseaux firent leur nid dans les arbres du vieux parc et y restèrent. On avait beau les tuer : pour une de tuée, dix revenaient. Et leurs cris et leurs rires arrivaient aux oreilles de la comtesse malgré les fenêtres fer-