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finois ? Les chrétiens doivent lui paraître ainsi que des chiens apprivoisés à un loup gris. Indomptée comme la bourrasque de neige et rude comme le torrent, elle n’aimera jamais les enfants de la plaine.

Cependant elle revient toujours parmi eux. Les gens frissonnent à sa vue, mais la fille des déserts marche tranquille, protégée par l’horreur qu’elle inspire. Ce chat ne croit pas plus en ses griffes qu’elle ne croit en sa science et dans la force des chants inspirés par les dieux. Pas de roi plus sûr de son royaume que cette femme de son empire de terreur.

La sorcière du Dovre a traversé plusieurs villages et arrive à Borg. Jamais elle ne daigne prendre le chemin de la cuisine. Elle foule de ses gros souliers d’écorce les allées finement ratissées et bordées de fleurs, avec autant de calme et d’indifférence que si elle suivait les sentiers des chalets. Et elle monte tout droit les escaliers des terrasses.

Ce matin-là, la comtesse Martha, debout sur le perron, contemplait la splendeur des choses. Deux servantes, qui transportaient, suspendus à un long bâton, des jambons nouvellement fumés, s’arrêtèrent devant elle :

— La gracieuse comtesse veut-elle sentir s’ils sont assez fumés ?

À ce moment la vieille finoise approche et met la main sur un des jambons. Ah ! la bonne couenne brune, grasse, luisante, et le bon parfum de fumée et de genévrier ! Elle n’a pas accoutumé de prier longtemps. Ce qu’elle touche, il faut qu’on le lui abandonne.

— Va t-en d’ici, vieille voleuse ! crie la comtesse.

— Donne-moi le jambon, dit la sorcière tranquillement.

— Elle est folle ! s’écrie la comtesse.

Et, sans plus s’occuper de la mendiante, elle ordonne à ses servantes de porter leur fardeau à la maison de provisions.

Les yeux de la centenaire flamboient de colère et d’avidité.