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du jeune pâtre, sur le fjell opposé ? On prétend qu’elle a plusieurs centaines d’années. Les personnes les plus âgées ne se rappellent pas le temps où elle ne parcourait point la contrée, et leurs pères l’avaient vue vieille, quand ils étaient jeunes. Elle n’est pas morte maintenant. Moi qui vous parle, je l’ai vue.

Elle est puissante, et de la race finoise, savante en sorcellerie. Elle ne s’humilie ni ne s’incline devant personne. Ce ne sont pas des traces timides que ses larges pieds laissent dans la poussière des routes. Elle sait appeler la grêle, diriger l’éclair, égarer les troupeaux, jeter les loups sur les brebis. Il vaut mieux être bien avec elle. Mendiât-elle toute une livre de laine et même l’unique chèvre du pauvre, donnez-la lui, sinon le cheval s’abattra, la cabane brûlera, la vache tombera malade, l’enfant mourra, la ménagère économe perdra la raison.

Elle n’est nulle part la bienvenue. Mais il faut la recevoir, le sourire aux lèvres. On ne sait pas contre qui elle est descendue des fjells ni pourquoi. Ce n’est pas seulement afin de remplir sa besace. De mauvais augures l’accompagnent : les renards et les hiboux hurlent sinistrement au crépuscule ; les elmas, chenilles mystérieuses, rouges et noires, et qui bavent du venin, sortent des forêts et rampent jusqu’au seuil des maisons.

Elle est orgueilleuse. Elle porte dans sa tête la sagesse des aïeux. Des runes précieux sont gravés autour de son bâton qu’elle ne vendrait pas pour tout l’or de la riche vallée. Les chansons magiques lui sont familières. Elle connaît l’art de préparer des philtres et les vertus des herbes et le moyen de frapper son ennemi ou de le paralyser à des lieues de distance. Et elle noue des nœuds de tempêtes.

Que ne puis-je déchiffrer les étranges pensées de ce cerveau centenaire ! Descendue du crépuscule des forêts et des fjells, que pense-t-elle des chrétiens, cette aïeule qui croit en Tor, le tueur des géants, et dans les puissants dieux