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maître, lui, aspirait à vivre au manoir des Cavaliers, on n’y trouvait point à redire ? Vous plaindrez-vous que le soleil du ciel disparaisse chaque soir à l’occident et laisse la terre en obscurité ? Qu’y a-t-il de plus indomptable que la résignation, de plus assuré de vaincre que la patience ?

CHAPITRE XVI
LA SORCIÈRE DU DOVRE

La sorcière du Dovre-fjel est descendue parmi les hommes et chemine sur les rives du Leuven, petite, voûtée, jupe de peau et ceinture ornée de clinquant. Pourquoi a-t-elle quitté les repaires des loups ? Que cherche-t-elle dans la verdure des vallées ?

Elle rôde en mendiant, car elle est avide et rapace, malgré ses richesses. Elle est riche : dans les crevasses des montagnes on dit qu’elle garde de lourdes barres d’argent, du bel argent blanc : et sur les plateaux, entre les fjells, paissent ses troupeaux de grandes vaches aux cornes d’or. Cependant elle marche le long des routes en souliers d’écorce et dans sa robe de peau graisseuse, où une broderie bariolée s’efface sous la crasse des années. Elle ne fume que de la mousse et ne craint pas de demander l’aumône aux plus misérables.

Elle est vieille, vieille. Quand l’éclat de la jeunesse baignait-il son large visage jaune, tout luisant de graisse, et son nez épaté, et ses yeux étroits et bridés qui brillent sous la saleté comme des braises sous des cendres grises ? Quand était-elle assise, jeune pastourelle, dans l’enclos du chalet, répondant par des airs de trompe aux chansons d’amour