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à jouer. Les oiseaux chantèrent dans le fouillis de ronces qui protégeait le jardin des vents du nord. Il était impossible qu’une voix qui sût chanter ne chantât pas sous ce lumineux matin. L’archet marchait tout seul. Lilliécrona allait et venait dans les allées, et le violon s’exaltait. Non, il n’y avait pas au monde de plus belle place que Löfdala. Qu’est-ce que le manoir d’Ekebu à côté de Löfdala ? La maison de Löfdala est couverte de chaume, et n’a pas d’étage. Elle est bâtie à l’orée des bois, au pied des montagnes, et la longue vallée s’étend devant elle. Ni lac, ni chute d’eau, ni parc, rien d’extraordinaire, rien ; mais tout y est beau, parce que tout y respire la tranquillité et la douceur du foyer. La vie y est commode. Ce qui la rend ailleurs pénible et malaisée s’y trouve aplani. Et c’est ainsi que les choses doivent être autour d’un foyer.

À l’intérieur de la maison, la maîtresse dort dans une pièce qui regarde le jardin. Tout à coup elle s’éveille : elle écoute et ne fait aucun mouvement. Elle écoute en souriant. Et la musique approche, et le musicien semble arrêté sous sa fenêtre. Ce n’est pas la première fois que, sous sa fenêtre, elle entend le violon. C’est ainsi que son mari a coutume de revenir, quand leurs extravagances ont été plus furieuses que d’habitude là-bas, à Ekebu. Il revient, se confesse et demande pardon, et lui avoue quelle sombre force l’entraîne loin de tout ce qu’il aime, — loin d’elle et de ses enfants.

Pendant qu’il joue, elle se lève ; elle s’habille sans sa voir au juste ce qu’elle fait, toute aux aveux du violon : « Ce n’est pas le luxe et la bonne chère qui me poussaient à m’en aller, dit la musique, ni l’amour d’autres femmes, ni le désir de la gloire : c’est la diversité magnifique de la vie, son amertume, sa douceur, sa richesse et sa folie. Il fallait que je la sentisse. Mais j’en ai assez : je reviens ; je ne quitterai plus ma maison. Pardonne-moi, aie pitié de moi ! »

Elle écarte le rideau, ouvre la fenêtre ; et le musicien