Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pommiers dont les pommes mûrissent dès la fin d’août avaient des fleurs roses, et celles des pommes d’api étaient presque rouges. Et le plus beau de tous était le vieux pommier sauvage, dont les petits fruits amers ne se mangent pas. Il n’épargnait pas ses fleurs : on aurait dit une vague de neige dans l’éclat du matin.

La rosée avait lavé toute la poussière sur les feuilles brillantes. Du haut des montagnes et des bois glissèrent les rayons de l’aurore. Les cimes de sapins en furent comme incendiées. Au-dessus des champs de trèfle et des seigles et des orges, et au-dessus des avoines qui commençaient à verdir, planait un brouillard diaphane, un vrai voile de beauté. Et les ombres se dessinaient aussi nettes qu’au clair de lune.

Lilliécrona s’arrêta longuement devant le jardin potager, les « couches d’épices » ainsi qu’on les appelait alors. C’était l’œuvre de la maîtresse et des bonnes. Elles avaient bêché, elles avaient arraché la mauvaise herbe, engraissé et travaillé la terre jusqu’à la rendre légère et fine. Puis, elles avaient pris des cordes et des bâtons et avaient dessiné des lignes, des plates-bandes et de petits sentiers qu’elles avaient tassés en les piétinant. Enfin, elles avaient semé et planté. Et les enfants les avaient aidées. Quelle joie, bien que ce fût pénible de tenir les bras tendus à travers les plates-bandes ! Ah, on avait fait ici des choses utiles ! Et maintenant ce qu’on avait semé sortait de terre. Les petits pois et les haricots, avec leurs deux grosses premières feuilles, se dressaient, fiers et braves ; les carottes et les navets se levaient dans une égalité parfaite. Et presque au ras de la terre, ces petites feuilles frisées des persils, étaient-elles assez drôles ? Dieu les bénisse ! Il y avait aussi un carré dont les bords n’étaient pas si bien tracés et dont les compartiments ressemblaient par la variété de leurs cultures à une carte d’échantillons : c’était le potager des enfants.

Lilliécrona appuya son violon sur son épaule et se mit