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dans l’église pendant la prière. Et subitement le pasteur saisit des deux mains les rubans qui retenaient son manteau. Il avait l’étrange sensation que tous ses auditeurs, l’Évêque en tête, montaient à pas furtifs les degrés de la chaire, afin de le lui arracher. À genoux et sans retourner la tête, il les sentait derrière lui qui tiraient. L’Évêque et les théologiens, les curés et les marguilliers, le sacristain et tous les paroissiens tiraient et s’efforçaient de dénouer ou de rompre les rubans. Et il se dit que, si les rubans venaient à céder, ils dégringoleraient les uns sur les autres tout le long de l’escalier. Il vit cela avec une netteté si saisissante qu’un sourire passa dans sa prière. Mais en même temps la sueur froide lui perla au front. C’en était fait : il ne serait plus désormais qu’un être honni, un prêtre défroqué, l’espèce d’homme la plus misérable du monde. Mendiant sur les grands chemins, vêtu de haillons, il dormirait, avec les vagabonds et la canaille, ivre, au bord des fossés.

La prière était achevée : il allait commencer son sermon. Alors une pensée lui étreignit le cœur et suspendit un instant les paroles sur ses lèvres. Il se dit que c’était la dernière fois qu’il lui était permis de monter en chaire et d’annoncer la gloire de Dieu. La dernière fois ! Il oublia toutes ses histoires d’eau-de-vie et la présence de l’Évêque. Le plancher de l’Église lui sembla s’enfoncer sous terre, tandis que le toit se soulevait et lui découvrait le firmament. Il était seul, bien seul.

Son esprit s’élança vers le ciel ; sa voix remplit l’espace. Il repoussa le papier sur lequel son sermon était écrit : les pensées descendirent en lui comme un essaim de colombes apprivoisées. Ce n’était pas lui qui parlait, mais quelqu’un de plus grand. Et il comprenait que nul ne pouvait l’atteindre en éclat et en splendeur, lorsqu’il annonçait ainsi la gloire de Dieu.

Tant que l’inspiration fut sur lui, il parla. Mais dès qu’elle se fut éteinte, et que le toit se fut rabaissé et que