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CHAPITRE XV
LA MAISON DE LILLIÉCRONA

On comptait parmi les Cavaliers un grand musicien, un homme haut et fort, aux membres vigoureux, avec une grosse tête et d’épais cheveux noirs. Il n’avait pas plus de quarante ans à cette époque ; mais son visage laid et lourd, et ses manières lentes lui donnaient souvent un air de vieux. Du reste, il était bon et d’humeur mélancolique.

Un après-midi il mit son violon sous son bras et s’en alla d’Ekebu. Bien qu’il ne pensât jamais y revenir, il ne dit adieu à personne. Les malheurs de la comtesse Élisabeth l’avaient dégoûté de la vie du manoir.

Il marcha sans se reposer tout le soir et toute la nuit, et, au lever du soleil, il arriva à une maison, nommée Löfdala, qui lui appartenait.

Personne n’y était éveillé. Lilliécrona s’assit sur le long banc vert devant la maison et regarda son domaine. Oh ! Dieu, il n’existait pas de plus belle place au monde ! La pelouse, légèrement en pente, était couverte d’une herbe fine et vert tendre. Ce gazon là n’avait pas son pareil. Les brebis pouvaient y paître, les enfants y jouer et s’y rouler : il restait toujours aussi abondant et aussi vert. La faulx n’y avait jamais passé ; mais, au moins une fois par semaine, la maîtresse y faisait balayer toutes les feuilles sèches, les rameaux et les brins de paille. Entre la pelouse et la maison, là où il était assis, Lilliécrona contempla la belle allée sablée et ramena instinctivement ses pieds sous le banc.